mercredi 20 avril 2011

La perte d'un membre

Le phénomène du membre fantôme, vous connaissez ? Mais si, vous en avez déjà entendu parler, il s'agit du membre amputé pourtant encore ressenti comme intact par son propriétaire dans les semaines, voire les mois qui suivent son amputation.

D'accord, pour introduire la question de la perte, on débute durement ! Je promets d'être plus soft la prochaine fois ! La question est vraiment intéressante, voire mystifiante. Voici donc le phénomène en question.

Presque immédiatement après la perte d'un membre, de 90 à 98% des personnes amputées ressentent encore sa présence. Il fut observé que plus le membre amputé était souffrant avant l'amputation, plus son propriétaire ressentira fortement sa présence une fois qu'il n'y sera plus. Le même phénomène est observable si l'amputation est due à un fort traumatisme.

On a observé que le phénomène des membres fantôme était moins courant chez les jeunes enfants. Ainsi, d'après les études d'un certain Simmel, les fantômes apparaîtraient (non sous le lit ou dans la garde-robe) mais bien chez 20% des enfants âgés de 2 ans, 25% entre 2 et 4 ans, 61%  entre 4 et 6 ans, 75% entre 6 et 8 ans et dans 100% des cas d'enfants de 8 ans amputés. Fascinant, non ?

On explique l'absence de fantôme chez les jeunes enfants par le fait que "le temps de la reconstruction de l'image du corps définissant la limite de soi physique dans l'espace, à la façon dont un enfant a une vision des perspectives évoluant avec sa taille, est essentiellement celui obtenu par la rééducation et l'acquisition de mouvements compensatoires palliant les désordres nouveaux." (wikipedia) En bref, plus le patient a vécu longtemps avec son corps physique intact, plus la reconstruction du schème mental sera longue à ériger, puis intégrer. De la même manière, si un jeune enfant naît avec un membre manquant, il ne ressentira point ce qui aurait pu être.

Le plus souvent, le fantôme se dissipe quelques semaines après l'amputation. Dans 30% (Sunderland) des cas cependant, les fantômes persistent encore après plusieurs décennies ! Plusieurs peuvent même "réveiller" leur fantôme en stimulant leur moignon ou par une forte concentration.

Pour une personne amputée de la main, exécuter des mouvements volontaires avec son membre absent ne semble pas causer de problème : fermer le poing, envoyer la main, contrôler ses doigts d'une manière distincte ou décrocher le combiné de téléphone : la sensation y est ! Certains ressentent même la sensation de leur montre à leur poignet inexistant ! Bien entendu, certains facteurs peuvent augmenter ou atténuer l'effet fantôme selon l'historique de chaque patient.

Observation intéressante : lorsqu'un membre est perdu de façon progressive comme chez un patient lépreux, la sensation de fantôme est inexistante, le moignon ayant été intégré progressivement à l'image mentale de son corps. Il semblerait cependant que si l'amputation (dans un cas de gangrène, par exemple) vient "compléter" de manière prématurée l'intégration du "nouveau corps" (avec moignon), le patient régressera et réintègrera son ancienne image personnelle de "personne complète", laissant pour compte de manière inexpliquée l'image personnelle tenant compte du  moignon.

De nombreuses études ont tenté de comprendre le phénomène du membre fantôme. Certains auteurs dits occultistes dont le théosophiste Arthur R. Powell (1925), adhérant à des doctrines ésotériques sur l'existence de corps subtils, proposent que le membre ressenti est en fait l'équivalent éthérique du corps physique. Les deux corps étant distincts et l'éthérique se dissolvant plus lentement que la partie physique, le patient ressentirait toujours la partie invisible mais non moins existante de son membre manquant.

Des théories psychologiques ont quant à elle proposé que la présence du membre absent ressentie résulterait en fait d'une certaine culpabilité ou de colère de la part de la personne amputée vis à vis les changements avec son environnement.

Les théories explicatives qui demeurent les plus répandues et appuyées demeurent les théories neurophysiologiques, qui impliquent de complexes interactions entre le système nerveux et le cerveau et que je ne me donne pas le mal de synthétiser. Voici donc un honnête et humble copié-collé de wikipedia détaillant la chose : 

"D’autres chercheurs, notamment Ronald Melzack et R.W. Davis, proposent des explications différentes : la douleur fantôme ne proviendrait pas de la périphérie, mais du système nerveux central, du cerveau lui-même. Melzack propose d'abord sa théorie du portillon ou « gate control theory » qu’il complète quelques années plus tard par son hypothèse du « Central Biasing Mechanism » ou Mécanisme d’Inhibition Centrale, puis par des explications sur le « Central pain Mechanism » ou Mécanisme de la douleur centrale. Les travaux récents de Melzack nous permettent de comprendre encore mieux le phénomène de la douleur fantôme à partir du concept de neuromatrice qui produirait une neurosignature. La neuromatrice, réseau des neurones, produirait de façon constante un patron caractéristique d’influx indiquant que le corps est intact et propre à la personne : c’est la neurosignature (Melzack, 1992). Une telle matrice fonctionnerait en l’absence d’influx sensoriels provenant de la périphérie du corps, ce qui créerait l’impression d’avoir un membre, même en son absence. Pour Melzack, la neuromatrice, prédéterminée génétiquement, peut aussi évoluer avec l’expérience. C’est pourquoi, l’expérience permettrait d’emmagasiner la mémoire d’une douleur. Cela pourrait expliquer la réapparition fréquente de douleurs pré-amputatoires dans le fantôme."

Je conclus sur une question : si la perte d'un membre fait d'un sujet, physiquement parlant, une personne "incomplète", la perception sociale porte-t-elle atteinte à sa dignité? Et qu'en est-il de sa propre perception?  Va-t-elle dans le même sens que le fantôme: le temps d'intégrer le schème mental de son nouveau corps est nécessaire...?

Lien intéressant: Lorsque la réalité virtuelle soulage les membres fantômes

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